Dallery et l’orgue de la cathédrale de Bourges.



                
Afin d’éclairer nos lecteurs sur les travaux et la personnalité des Dallery, nous citons ci-après de très larges extraits de la notice concernant l’orgue de la cathédrale de Bourges, paru dans l’Inventaire National des orgues (Les Orgues du Berry)[1].

 

                 C'est avec Pierre-François Dallery, facteur de grande réputation, que va traiter la fabrique de la cathédrale. Dallery vient à Bourges examiner l'instrument et remet le 24 novembre 1818 le rapport suivant (Archives départementales du Cher, V dépôt 756)

Rapport fait à MM. les fabriciens laïque et chanoine membres du Conseil de l’Église Cathedralle de Bourges sur la situation de l'Orgue de la ditte Cathédralle.

Par Pierre François Dallery, facteur d'orgues du Roy et de la famille Royale.

Messieurs

Appelé par votre confiance, à l’effet de visiter l'orgue qui fait partie des ornements de votre magnifique Église archiépiscopale je lai examiné dans toute ses parties intérieures et extérieures, assisté de deux personnes prises dans votre conseil MM. Romelot chanoine de la susdite, et Marcy fabricien laïque; il résulte de notre visite les observations suivantes.

1° que cet instrument est dans un tel état de dépérissement qu’à moins di renoncer il faut le réparer de font en comble tous les jeux étant mutilés ou oxidés par la rouille, née de l'humidité et de l'air, qui détruisent les meteaux les plus dur.

2° Je dirai plus, c'est qu’il y a 50 ans qu’au lieu de faire une bombarde au pied on eut du déja s’occuper plus particulièrement de refaire des jeux dans l’intérieur, plus nécessiteux qu’une Bombarde, dont les Basses sont en bois, au lieu d’être en Étain ce qui auroit fait faire à l'Orgue trois fois plus d’effet, et dont il avoit besoin dans un aussi grand Vase.

3° J’ajouterai même que cette bombarde a été faite plutôt par spéculation de la part du facteur, que dans la véritable vue d'améliorer l’orgue; je suis certain de ce que j’avance.

4° Tout ce qu’on y a fait depuis ne porte pas d’autre caractère que celui de l’ignorence dont vous avez été victime faute par vous de vous être adressé au Centre des Arts ou la Longanimité des réputation ne peut s’acquérir que par des succès constamment couronnés.  Je sais que la crainte d’être entraîné dans des dépenses au-dessus de vos forces, a pu vous décider à vous servir des occasions fournies par le Hazard, et que dupe de certificats faits sous le manteau des cheminées ou au cabaret, vous avez donné sans le vouloir dans les piéges tendus à votre peu de connoissance dans cette partie et à votre crédule bonne foi; aussi il résulte en définitif qu’il ne vous reste plus que la terrible spectative de renoncer à un instrument d’absolue nécessité pour notre culte, ou de le faire refaire dans toutes ses parties intérieures.

C’est dans cette vue que je vais soumettre à votre décision deux moyens également propres à faire disparoitre pour toujours les traces de la vétusté ou il est aujourd’hui, vous n'avez plus qu’à choisir entre ces deux moyens :

Quelque soit celui que vous adopterez je n’en déclare pas moins que nous arriverons au même résultat à quelques jouissance de plus ou de moins; ou mon amour propre aura seul à souffrir, mais ou vos espérances ne seront pas moins comblées; puisque vous aurez un bon et très bon instrument.

Plein de confiance dans vos bonnes intentions et convaincu que vous ne m'aurez pas vainement appelé; vous allez lire dans le devis qui suit les articles de mes obligations dont je me rends responsable pour toujours.

[Signé:] Dallery

 

Ce même 24 novembre, la fabrique accepte les principales propositions du devis joint à ce rapport, à l'exception toutefois de la réfection de la montre et des modifications des buffets envisagées. Un « Traité pour la réparation de l’orgue » est signé le jour même, pour un montant de 17 000 francs.

                 Mais très vite, Dallery regrette d'avoir laissé la fabrique libre de ne pas accepter le devis « dans son entier» : «Je me restreindrai de 1 000 francs s’il le faut pour qu’il soit dit que l'orgue est de moi en entier », écrit-il à De Marcy le 12 décembre 1818 (Archives départementales du Cher, V dépôt 756). La fabrique, d'abord résolue « d’attendre jusqu’au mois d’avril prochain », époque où Dallery doit venir à Bourges commencer les travaux qu'elle lui a commandés, « pour prendre un parti sur les nouvelles propositions » du facteur (Archives départementales du Cher, V dépôt 756, lettre à Dallery, 3 janvier 1819), conclut le 11 novembre suivant un contrat complémentaire relativement aux montres et aux changements à faire aux buffets, pour la somme de 3 000 francs (Archives départementales du Cher, V dépôt 756).

                 S'ensuit une véritable reconstruction de l'orgue de la cathédrale : tous les sommiers sont refaits, avec leurs abrégés, et disposés de façon à permettre l'entretien et l'accord, quatre sommiers au lieu de deux pour le grand-orgue, quatre claviers manuels neufs à la console ; les neuf soufflets sont révisés ; les montres et bien d'autres jeux sont refondus, les jeux de mutation sont sacrifiés jusqu'aux doublettes qui disparaissent, il n'y a guère que les trois cornets de grand-orgue, positif et récit qui ne soient pas touchés. […]

              Le 21 février 1821, Dallery informe l'archevêque que l'orgue « sera en état d’être Entendu, et reçu » le dimanche 4 mars. Il en profite pour lui joindre un projet de contrat d'entretien - qui sera signé le 14 mars (Archives départementales du Cher, V dépôt 756). Peut-être attend-il aussi quelque supplément de paiement ?

                 «Je supplie également votre éminence de joindre tout ce qu’elle veut bien m’accorder de protection pour que je sois fait le plus riche possible pour m’en aller à Paris, étant devenu bien pauvre à Bourges, en construisant un bel instrument, où j’ai plus fait que mes forces et mes moyens et bien au-delà de mes obligations et dont les dépenses me reviennent à 19500 francs. »

              Les ouvriers de Dallery songeront aussi, de leur côté, à compléter leur salaire. Leur porte-parole, Boisselier, rédigera une note à l'attention de «Messieurs les administrateurs fabriciens » les informant « que les travaux de l’orgue étant près de leur fin à dix ou douze jours prés il est d'usage et non d’obligation dans les fabriques de Paris de donner un témoignage de satisfaction a ceux qui y ont cooperé [ ;] en conséquénce nous nous recommendons a votre générosité ». Ils recevront 30 francs le 18 mars.

              Entre-temps, l'orgue a été reçu, avec forces éloges : le « procès-verbal de vérification et de réception de l'orgue » est signé le 16 mars.

              Lorsque le 4 juillet suivant « Dallery fils » a achevé son travail de « repassage, entretien et accord de l'orgue », le chanoine Romelot et Baland ont « reconnu que le tout étoit en bon Etat et bien répare ». Le 14 juin de l'année suivante, même satisfecit : « Le tout nous a Paru d'accord et en bonne harmonie » déclareront Romelot et de Marcy. Tout est donc pour le mieux.

 

L’inondation de l'orgue, nuit du 14 au 15 juin 1822

              C'est le titre d'un dossier conservé dans les archives paroissiales de la cathédrale déposées aux Archives départementales du Cher (V dépôt 756). Premier témoignage, celui de Louis-Paul Dallery :

                 « L’an mil huit cent vingt Deux le quinze Du mois de juin.

                 Nous soussigné Louis Paul Dallery fils facteur d'orgue du roi, certifions qu’après l'acord annuel de l’orgue de la Cathedrale de Bourges et après la verification faite par deux membres de la fabrique qui ont reconnus que le travail avoit bien soigné et que les engagements pris avec la dite fabrique avoient été remplis ponctuellement. et etant sur le point de mon départ, j’ai été averti par monsieur Baland organiste de la dite Cathédrale que l’ouragan qui a eu lieu dans la nuit du 14 au I5 avoit inondé toutes les parties de la tribune et la soufflerie du dit orgue. Alors je me suis transporté au dit orgue pour examiner si les domages ne s'etoient pas etendus plus loin, étant monté dans l’intérieur de l'orgue accompagné de Meurs Baland, Romelot et [de Marcy] nous avons remarqués que les sommiers avoient eté inondés et que les registres ne pouvoient plus jouer. De manière qu’il ne reste plus à la disposition de l'organiste que le petit buffet et quelques registres du grand orgue qui ne suffisent pas pour donner a l’office la sollemnité dont il a besoin dans une métropole.

Cela est d’autant plus afflijant pour Mrs les administrateurs fabriciens, que cet instrument venoit détre refait a neuf par Meurs Dallery père et fils et que ce malheur occasionnera un autre réparation, qui est [est] estimée par moi quinze ou dix huit cent francs.

Fait a Bourges le 16 juin 1822.

[Signé:] Romelot ch., Dallery fils, De Marcy,

Baland orgte. »

A la suite de ce rapport :

                 « Etat approximatif des réparations a faire a l’orgue de la Cathédrale de Bourges par suite de l'ouragan dont il est parlé dans le procès verbal.

1° Demonter tous le jeux d'anche du grand orgue, et repasser ou changer les anches et languettes que l’eau aura gaté et mis hors d'état de servir.

2° Demonter egalement les jeux d’anches de pédales au nombre de trois, savoir Bombarde Trompette et Clairon, pour y faire les mêsmes reparations qu’aux autres jeux du Grand orgue, et les remettre en aussi bon état qu’ils étaient avant l'evénement.

3° Demonter aussi la pédale de 4tre pieds dont une partie se trouve sur les sommiers et dont l’autre partie est postée. Demonter le dit postage s’il est besoin afin de donner a ce registre tout la liberté qu’il doit avoir.

4° Enlever les chapes des jeux demontes tant au grand orgue qu’aux pédales pour en enlever les registres et regarnir en peau ceux dont l’humidité aura collé la peau qui les garnissent encore sur la table des dits sommiers et qui empecheroit que l’orgue fut absolument étanche [; ] si l’on neglijoit de le faire il necessiteroit une autre reparation.

5° Regarnir en peau le dessous des sommiers ou gravures que j’ai été obligé de percér afin d’en faire ecouler l’eau qui etoit entré dans les dites gravures.

6° Remonter tous les jeux demontés tant du grand orgue que des pedales et leur redonner la force dont ils ont besoin et qu’ils avoient precedemment.

Ces travaux faits dans toutes les regles de l'art du facteur d'orgues a dire d’expert nommés par la fabrique et a ses frais seront executés pour la somme port[é]e  dans le procès verbal precedent.

[Signé:] Dallery fils

Fait a Bourges le 17 juin 1822. »

 

Les témoignages qui seront apportés les jours suivants ne veulent pas croire à un accident naturel; et personne ne veut être taxé de « négligence »:

- ni le vitrier qui constate « que la rosette en général était grandement mauvaise ; les panneaux annoncent ruine prochaine, quoiqu’il n’y ait que 4 ou 5 petits morceaux de verre qui ont été cassés par la grêle ou plutôt qui se sont échapés des plombs par le défaut de soudure, mais il ne pense pas que l’ouverture de ces morceaux de verre qui sont cassés ou échappés, aient pu faciliter le passage de l’eau ni de la grêle surtout en quantité ». De toute façon, conclut-il, « toutes les fois qu'un orage ou un grand vent éclate, je me transporte sur les lieux et j’examine avec soin tout ce qui me concerne afin de vous en faire mon rapport, et, en cela, je me conforme au règlement établi par la fabrique ».

- Ni l'architecte qui avait « d'abord penser qu’il suffirait de couvrir le tout en toile cirée, ou imperméable », et qui propose, « sur l’observation qui [lui] a été faite, que déjà différentes parties ont été couvertes avec ce moyen et que les rats les ont mangés », de « couvrir chaque partie avec un chassis de fer blanc ». Il reconnaît cependant le 18 juin « que les vitraux de la rosette sont crevés à plusieurs endroits soit par la grêle soit par vétuseté, et que la force du vent a chassé a traver, une quantité assez considérable d'eau, pour gater les sommiers et plusieurs autres parties de l'orgue, accident qui n'a pas eté éprouvé de tems immémorial, il a fallu sandoute un ouragant aussi impétueux pour produire un semblable effet, attendu que les trous existants aux vitraux sont de très petites dimention ».

- Et surtout pas le chanoine Romelot, qui rapporte le 25 juin « que le 15 juin précédent, le Sr Balland organiste, lui avoit envoié au Chœur  pendant la grand-messe capitulaire, un exprès pour le prier de se rendre de suite aux orgues; qu’y étant arrivé, il avoit été arrêté à l’entrée de la tribune par le nommé Baland fils, qui avoit la tête appuiée sur ses deux mains, et courbé sur le siège d'une chaise, dans l’attitude d'un homme endormi, au point que ledit Baland Père avoit été obligé de lui donner l’ordre de laisser le passage libre, que lui Romelot avoit été d'autant plus surpris de voir dans les orgues un jeune homme étranger à son service qu’il avoit été expressement deffendu, et à plusieurs reprises audit sieur Balland organiste d’y laisser entrer qui que ce fut, et sous aucun prétexte quelconque; qu’étant arrivé auprès du clavier de l’orgue, ledit Sr organiste lui avoit fait observer qu’il étoit impossible de tirer les registres du grand orgue; ce dont il s'est assuré par lui-même; qu’étant monté ensuite avec le Sr Baland sur le plancher qui est à côté du grand buffet, à la hauteur des sommiers, il s’étoit apperçu que ce plancher étoit imbibé d'eau, mais seulement à l’entrée, et dans une longueur de trois à quatre pieds, quoique ce plancher en ait au moins vingt de long, et en outre que les portes ou ventaux qui ferment le fût de l’orgue de ce côté n’avoient sur leur superficie extérieure aucune trace d’humidité ni d’eau tombée dessus, ce qui devoit cependant avoir lieu, si l’eau eut jailli de la croisée qui est vis à vis. Que le Sr Balland ayant ensuite ouvert les portes, il lui avoit fait remarquer qu’il y avoit de l'eau dans les tuyaux et sur le faux sommiers qui les portent, qu’alors lui Romelot en sa qualité de maitre d'œuvre, avoit donné l'ordre au Sr Baland d’inviter le Sr Dallery fils, facteur d’orgues qui se trouvoit alors dans cette ville à se trouver avec lui aux orgues ce jour la même, à cinq heures du soir, à l’effet d'en faire ensemble la visite ».

Voir ci-dessus pour la suite des événements, mais la commission mise en place par le conseil de fabrique conclut au terme de son enquête « qu’il étoit phisiquement impossible que l’introduction de l’eau dans les tuyaux et les sommiers de l’orgue fut le résultat d’aucun accident ni de l’orage du 14 juin dernier » et en vient à soupçonner le jeune Baland, et le fils Dallery lui-même.

              Sans prendre le temps d'interroger les jeunes gens, le bureau de la fabrique décide, le 7 juillet, de retirer les clefs de l'orgue à Baland qui, ulcéré par semblable accusation, demande un rapport d'expert sur les causes de l'accident. De son côté, Dallery père « apprend au retour d’un voyage en Bretagne qu’une accusation grave » pèse sur son fils (lettre du 18 juillet) : lui aussi exige « les preuves d’un délit commis ».

A la cathédrale, la tension est à son comble. M. Baland « n’a pas touché l’orgue aux offices des dimanches 14 et 21 de ce mois », accuse la fabrique (V dépôt 668), qui décide de lui écrire pour lui demander « cathégoriquement s’il entend continuer ses fonctions ou s’il y renonce absolument ». Ce même 21 juillet, justement, Baland écrit longuement au conseil de fabrique (V dépôt 756) : il a appris qu'une demande d'aide déposée auprès de la préfecture pour réparer les dommages causés à l'orgue s'appuyait sur un procès-verbal de ce même conseil, en date du 19 juin 1822, déclarant que « l’accident arrivé a l’orgue est l’effet de l’ouragan qui a eu lieu dans la nuit du 14 au 15 juin, lequel par son impétuosité a cassé des carraux de vitres, détruit les mortiers de vitraux existans derrière le buffet et introduis des grelons qui ont fondu dans les tuyaux, et dont l’ eau en provenant a penetré dans les sommiers et empêché le jeu des registres ». Une telle déclaration l'innocentait de toute négligence, et son fils de tout acte de malveillance ! Quelle raison le conseil pouvait-il avoir de lui retirer sa confiance après plus de trente ans de service à la cathédrale […] ? Pourquoi « Monsieur Romelot » avait-il « insinué a une personne qui le repéterait devant lui, que Mr Dallery et mon fils étans ivres, ont imaginé de prendre l’eau dont se servent les maçons aux réparations et à la jetter dans l’orgue, ah ! Monsieur l’abbé Romelot, vous avez bien voulu ignorer l’impossibilité de commettre cette horrible action, comme vous avez oublié cette charité chrétienne qui nous défend a tous de nous servir du poison de la calomnie. Si ce reproche m’avait été mis sous les yeux, j’aurais prouvé à Messieurs les membres de la fabrique que le fait invraissemblable par lui même (par la position des choses et le danger d'être vu) etait faux et controuvé; que jamais mon fils ne s’est pris de vin, que Monsieur Dallery fils n’a jamais été apperçu dans un état de gaité que donne le défaut d’avoir un peu trop bu, et que tous les deux se sont couché la veille a une heure qui met leur conduite a l’abri de tout reproche ! Est-il présumable au surplus que ces deux jeunes gens, ou l’atmosphere embrasé annoncait un orage epouvantable, et au moment ou cet orage eclatait et inspirait la terreur, ussent concu l’horrible projet, l’un de détruire son propre ouvrage et l’autre d’endommager un instrument qui faisait les délices de son père» ?

Cependant, la fabrique considère le 28 juillet que son organiste est démissionnaire, et décide dans sa séance du 20 octobre 1822 d'admettre « M. Chapuy professeur de musique et organiste de l’église paroissiale d’Issoudun » comme organiste en remplacement de Baland (V dépôt 668). Mais Chapuy, le 24 octobre, refusera le poste : le traitement de 600 francs qui lui est proposé ne lui paraît « pas suffisant pour soutenir une famille de cinq personnes », et il a reçu le 23 « deux lettres anonymes, remplies de sottises on ne peut plus grossières » et pense qu’ « une cabale » est montée contre lui (V dépôt 749)         

             Les choses vont alors commencer a s'arranger pour Baland qui écrit le 15 janvier 1823 au conseil de fabrique que des affaires l'ont appelé à Paris plus longuement que prévu et que ses finances n'en sont que plus « écornées » : il a besoin d’argent, il demande qu'on lui délivre son traitement (V dépôt 749). Et le 26 janvier suivant, la fabrique qui n'a trouvé personne pour le remplacer, feint de se montrer satisfaite et décide de lui payer son traitement (V dépôt 668).   

              L’état de l'orgue, lui, ne s'est pas arrangé pour autant. Et lorsque Louis-Paul Dallery revient à Bourges pour procéder à l'entretien annuel de l'instrument, il rappellera le 8 juin les dégâts causés par « l'ouragant » et les mesures qu'il avait prises alors « pour empecher que le mal ne fit de plus grands progrès que ceux qu’il avoit déja fait »; il fera rédiger le 12 juin 1823, pour se garantir, un procès-verbal de réception pour le travail qu'il vient d’accomplir (V dépôt 756) :

              « Examen fait des differentes parties de l’orgue, nous avons reconnu conformément à l’assertion du Sr Dallery qu’il existe dans quelques parties des sommiers des ouvertures par lesquelles s’échappe le vent des soufflets lorsqu’on l’introduit dans les gravures correspondantes ; que le registre de la premiere trompette ne peut pas se tirer, et que le registre de la bombarde à la main a la peine à se mouvoir, d’où  il suit qu’il pourra d’un instant à l’autre se trouver totalement arreté.

              Ayant invité le Sr Balland à toucher les differens  jeux, nous avons reconnu que plusieurs des tuyaux des grosses tourelles parlent à peine par suite des perte vent susmentionnes, mais nous avons jugé qu’en totalité les differens jeux avoient été aussi bien accordés que le permet  l’etat actuel de l’orgue. »

              Quant à l'organiste Baland, il fera bientôt part à l'archevêque de Bourges - le 19 décembre – des propositions qui lui sont faites par l'évêque d’Orléans et son conseil à la suite du vif succès qu’il a remporté à l'occasion de la réception de l'orgue de la cathédrale de cette ville : un salaire de 1000 francs par an et l'assurance pour son fils d'obtenir le poste après lui (V dépôt 749). A grand regret, Bourges ne lui offre pas autant :  Baland partira donc pour Orléans.

 

L’entrée en scène de Louis Callinet

 

              A Bourges, le conseil de fabrique trouve à recruter un nouvel organiste en la personne de Salvador Daniel. […] D’autre part, les fabriciens, qui ont « cru devoir profiter du passage du Sr Callinet facteur d’orgues » disposent depuis le 10 décembre 1823 d’un devis de réparations dressé par lui (V dépôt 756).  

                 « Nous Louis Callinet, facteur d'orgues, associé de Mr Somer, aussi facteur d'Orgues, demeurant à Paris,  faubourg St-Martin, N° 35, étant de présent à Bourges, avons sur l’invitation de Mgr. l'Archevêque et les Membres de la fabrique de l’Eglise métropolitaine, visité l’orgue de ladite Eglise en présence de deux Membres du Bureau particulier désignés à cet effet, et d'après notre examen dressé le présent devis.

Art. 1 er

La première Trompette du grand orgue étant hors de service, vu que le registre ne peut mouvoir à cause du gonflement des peaux par suite d’inondation, il est nécessaire de démonter le clairon et cette première trompette, et de refaire en même temps le balancier en fer, parce qu’il est trop faible. Ces objets seront remis en bon état, bien parlant et d’accord, pour la somme de 250f.

Art. 2e

La plupart des tuyaux de la montre de 16 au grand orgue octavient, sont faibles et tardifs à parler. Les tuyaux de la montre de 8 pieds et du prestant, dans la première octave des basses, octavient pareillement. Ces trois jeux seront réparés pour 120 f.

Art. 3e

Les tuyaux de flûte du grand orgue ne se suivent pas d’harmonie; il est nécessaire de les démonter pour égaliser les jeux et les rendre d'accord. Cette dépense sera de 80f.

Art. 4e

Tous les jeux d'anche du grand orgue, c’est-à-dire la bombarde, les deux trompettes et la voix humaine, doivent être visités en détail : plusieurs tuyaux manquent d’harmonie. Cette réparation coûtera 60f.

Art. 5e

Dans les jeux de pédales de 16, de 8 et de 4, plusieurs tuyaux sont muets et d'autres manquent d'harmonie. Pour remédier à ces graves inconvéniens, il faut démonter une partie des jeux d'anche des pédales, et rendre plus prompts à parler plusieurs tuyaux de la bombarde, de la trompette et du clairon. Pour 100 f.

Art. 6e

Toutes les vergettes des pédales ont besoin d’être ferrées d’un fil de laiton beaucoup plus fort que celui existant, afin de faire parler plus promptement les tuyaux 130f.

Art. 7e

Les pilottes du positif seront garnies d'une pointe en cuivre tarodé, pour y recevoir une écrou en cuir, afin de régler le clavier et le rendre plus facile à jouer. Tous les pilotes seront visités pour y ajuster d'autres tourillons enfer et leur donner le jeu nécessaire pour produire un meilleur effet 30f.

Art. 8e

Tous les autres jeux de l’orgue seront mis en harmonie, bien parlant et d'accord. L’orgue sera rendu dans un état partfait à dire d'experts choisis par Mgr. l'Archevêque et par MM. les Membres de la fabrique. Le tout moyennant la somme totale de 770f.

                                                                                    Fait à Bourges, le 10 Décembre 1823.

                                                                                                [De l'écriture de Callinet : ]

                                                                        J'aprouve L’ecriture ci dessu [signé :] Callinet. »

 

                Le 21 décembre, les fabriciens somment Dallery de faire les réparations qui s'imposent.

 

                 «Observations sogrenües d’un soidisant facteur d’orgues parce qu’il s'est mèlé, parce qu’il a travaillé chez moi, et que je l’ai chassé pour insubordination et déconfiance. Le Sieur Callinet n'a aucune qualité à mes yeux qui puisse l’autoriser à dresser un procès verbal contre celui qui a été son maitre, il travaille passablement en bois mais pour juger son Maitre il a les oreilles trop longues », répond Dallery qui, le 22 janvier 1824, annonce sa venue « dans les premiers beaux jours ».

                 Mais Dallery ne viendra pas. Signification d'huissier, le 12 juillet, des fabriciens mécontents. Renonciation « pure et simple » de Dallery le 29 avril 1825 (V dépôt 756).

 

 

 



[1] Les orgues du Berry, région Centre, Inventaire National des orgues, ouvrage collectif réalisé par l’Association régionale d’Etude et de Sauvegarde des Orgues (ARESO) sous la direction d’Alain Cambourian, Editions Comp’Act, Chambéry, 2003, pp. 73-77. Nous remercions M. Alain Cambourian de nous avoir autorisé à mettre en ligne cet article. L’orthographe ancienne, y compris les accents, a été respectée.