La Chapelle de la Sorbonne, édifiée par Jacques Lemercier en 1642-44 aux frais du Cardinal de Richelieu, est considérée comme un chef-d’œuvre du premier art classique français. En dépit de son appellation de « chapelle », il s’agit en vérité d’un bâtiment de vastes dimensions, surmonté d’une coupole. La chapelle abrite le tombeau de Richelieu, sculpté par François Girardon en 1694, et qui représente la Piété et la Doctrine en train de pleurer le prélat mourant. Après la fermeture de la Sorbonne en 1791, un décret attribua en 1808 à l’Université Impériale tous les biens, immeubles et rentes ayant appartenu « au ci-devant Prythanée Français ». En 1821, ce décret fut confirmé sous forme d’une concession des bâtiments de la Sorbonne à la Ville de Paris à condition d’y conserver à perpétuité le chef-lieu de l’Académie de Paris, ainsi que les facultés de Théologie, des Sciences et Lettres, etc. L’église fut rendue au culte en juin 1822 par l’évêque Hippolyte de Quélen, puis, après une autre fermeture de 1830 à 1852, le service du culte y fut à nouveau assuré de 1853 à 1885.
retourL’orgue de la Chapelle de la Sorbonne fut commandé à Pierre-François Dallery (1764-1833) à l’issue de la restauration de la chapelle funéraire de Richelieu en 1825. Toutefois, c’est le fils de Pierre-François Dallery, Louis-Paul (1797-1875) qui assura les travaux. Exécuté à partir d’éléments assez hétéroclites, l’orgue fut inauguré le 10 juillet 1825. Il comprend 23 jeux sur trois claviers et pédalier, la soufflerie (trois soufflets cunéiformes) étant placée dans les combles au-dessus des voûtes. On retrouve de nombreux éléments caractéristiques de la facture de François-Henri Clicquot dont Pierre-François Dallery avait été l’associé et le successeur. Selon Félix Raugel, ce serait l’architecte Vaudoyer, chargé de la restauration de la chapelle, qui aurait dessiné la façade de l’orgue. Celle-ci, qui consiste en un seul corps avec trois plates-faces séparées par des colonnes corinthiennes, offre en effet une grande analogie avec celle du buffet projeté par Soufflot pour l’Église Sainte-Geneviève. La console se trouve au revers de l’instrument, côté ouest. L’instrument fut utilisé pour les auditions données sous la Restauration par Alexandre Choron dès juillet 1825 avec le concours des élèves de l’Institution Royale de Musique Religieuse. Après la réouverture de la chapelle en 1852, à l’époque de Napoléon III, le nouveau maître de chapelle, Félix Clément, expert officiel pour les orgues, fit procéder à la remise en état de l’instrument par Louis-Paul Dallery lui-même. C’est celui-ci, vraisemblablement, qui installa en 1854 le pédalier à l’allemande qui existe toujours à ce jour. Félix Clément démissionna en 1859, et l’orgue fut dorénavant réduit au silence. Son accès fut rendu plus délicat par la suppression en 1885 de l’escalier d’accès direct à la tribune, extérieur à la chapelle.
retourCharles Dallery, né 23 janvier 1702 à Buire-le-Sec, dans le Pas-de-Calais, fut le premier facteur d’orgues de cette « dynastie ». Tonnelier de son état et mécanicien habile, il se mit à la facture d’orgues pour résoudre un problème de bruit mécanique sur la transmission des orgues installées dans l’église de sa ville natale. Bientôt, il s’installait à Amiens, et l’on sait que dès 1726 il entretenait l’orgue de l’église St-Sulpice de cette ville, où il devait mourir en 1779.
Pierre, né le 6 juin 1735 à Buire-le-Sec également, neveu et élève de Charles, plus célèbre, devint l’associé de François-Henri Clicquot à Paris durant une dizaine d’années de 1767 à 1778. Ensemble, ils construisirent une multitude d’instruments admirables, tels ceux de St-Nicolas-des-Champs (1773), de St-Merry (1778) et de la Sainte-Chapelle du Palais (1771). Il est mort à Paris le 3 octobre 1812.
Charles, né le 4 septembre 1754 à Amiens, fils de Charles, horloger et mécanicien avisé comme son père, perfectionna la harpe à pédales. Il fut aussi l’inventeur de l’hélice propulso-directrice, de la chaudière tubulaire et le constructeur du premier bateau à vapeur. Il toucha également à la facture d’orgues avec, notamment, la restauration de l’orgue de Saint-Firmin-à-la-Porte d’Amiens en 1783. Il mourut à Jouy-en-Josas le 1er juin 1835.
Fils de Pierre, Pierre-François Dallery, né le 28 juillet 1766 à Paris, mort dans cette même ville le 3 octobre 1833, eut pour marraine Antoinette Poinsellier, l’épouse de François-Henri Clicquot. facteur d’orgues du Roi. Pierre-François apprit donc la facture d’orgues auprès de son père Pierre et de François-Henri Clicquot. Il commença par effectuer divers travaux de restauration et de réparation (orgues de St-Eustache, St-Roch, Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, St-Sevrin, cathédrale de Soisson).
Son fils Louis-Paul Dallery, né le 22 février 1797 à Paris et décédé le 13 décembre 1875, apprit le métier auprès de son père auquel il succéda en 1807. Il effectua pour le compte de celui-ci d’abord, puis à son propre compte, des travaux dans les orgues de St-Thomas d’Acquin, St-Médard, St-Jacques-du-Haut-Pas, St-Germain l’Auxerrois, St-Merry, St-Étienne-du-Mont, St-Nicolas-du-Chardonnet, St-Philippe-du-Roule, ajouta des compléments aux orgues de St-Eustache et St-Roch et, bien sûr, construisit puis releva l’orgue de la chapelle de la Sorbonne. À l’extérieur de Paris, on le voit intervenir sur l’orgue de la chapelle de Versailles, à Senlis, St-Aspais de Melun, à l’École Militaire de St-Cyr, à la cathédrale de Bourges, à St-Étienne de Beauvais, à la cathédrale de Poitiers, à St-Germain de Rennes, etc.
On le voit, l’activité des deux derniers Dallery fut intense. On remarque cependant qu’ils se sont surtout consacrés à des restaurations, relevages et transformations d’instruments existants. L’orgue de la chapelle de la Sorbonne (ainsi, d’ailleurs, que celui de Saint-Cyr) constitue donc une exception importante et il est particulièrement intéressant qu’il soit parvenu jusqu’à nous sans altération, nous donnant ainsi un exemple du savoir-faire des Dallery au début du XIXe siècle.
L’histoire a surtout retenu le lent déclin de l’atelier des derniers Dallery. Il ne semble pas en effet que la qualité du travail de Pierre-François et Louis-Paul Dallery, héritiers, comme nous l’avons rappelé, de l’école de Clicquot, ait été à la hauteur de celui de leur célèbre prédécesseur. Souvent aigri par de nombreuses vicissitudes, Pierre-François écrit des courriers vindicatifs ou larmoyants pour justifier son travail, défendre son honneur et … garder ses clients, ce qu’à la fin de sa vie il ne parvient plus à faire. Jean-Marc Baffert écrit :
Bricoleur, hâbleur, prétentieux, peut-être bon harmoniste, mais facteur peu capable, Pierre-François fit de « mauvaises affaires », laissant seul son fils en 1826 dans la conduite de l’entreprise. Lorsqu’il mourut « ne laissant à son fils que son nom pour toute fortune », la réputation de l’atelier avait déjà beaucoup décliné.(*) |
Mais il est juste de rappeler que Louis-Paul Dallery incarne quant à lui la tradition à une époque marquée par le renouveau de la facture d’orgue en France sous l’impulsion de Cavaillé-Coll. Face à la facture « moderne » de ce dernier, les techniques prisées par le dernier des Dallery paraissaient démodées, voire délibérément conservatrices. Ainsi, l’orgue de la Sorbonne est-il, paradoxalement, un orgue « de l’ancien régime » construit au début du XIXe siècle. On peut y apprécier l’habileté mécanique du facteur, une tuyauterie « classique » proche de celle de Clicquot, et un attachement à un plan sonore et une esthétique traditionnels.
retourVisité par les musicologues Félix Raugel vers 1925, Paul Brunold en 1932, Pierre Hardouin, Dominique Chailley et le facteur d’orgues Patrice Bellet en 1971, l’orgue de la Chapelle de la Sorbonne a été décrit par Pierre Hardouin dans Connaissance de l’Orgue, n° 34, en 1980. Un inventaire approfondi a ensuite été réalisé par Pierre Dumoulin, dans le cadre de l’Inventaire des Orgues de l’Île-de-France réalisé sous l’égide de l’ARIAM-Île-de-France, de mai à juin 1983 (*). À la suite de l’inventaire de 1983, le Bureau des Monuments de la Direction des Affaires Culturelles de la Ville de Paris fit procéder à un nettoyage complet de l’instrument et des combles où se trouve la soufflerie, désormais protégée par un abri fermé. Suivant les recommandations de Pierre Dumoulin, les facteurs Bernard Dargassies et Loïc Martine effectuèrent divers travaux urgents de sauvegarde — mais non pas de restauration, jugée inopportune à l’époque. Bernard Dargassies rédigea alors un relevé assez détaillé de l’instrument. Dans un courrier de novembre 1984, il alertait le Rectorat sur les risques encourus par l’instrument lors de l’installation et du démontage d’expositions dans la chapelle (tuyaux cabossés ou écrasés, voire dérobés).(*)
Bien que d’un accès difficile, l’orgue de la Chapelle de la Sorbonne n’est donc pas à l’abri de démarches négligentes ou malveillantes, comme nous avons pu le constater à nouveau lors d’une nouvelle visite en compagnie de Pierre Dumoulin, le 21 janvier 1998, visite qui permit d’observer l’état actuel de l’instrument (aujourd’hui injouable). Un tuyau de basse de bourdon renversé avait écrasé quelques petits tuyaux du positif : à l’évidence, l’orgue avait été l’objet de nouvelles dégradations depuis les travaux de 1984-85, en dépit des mesures de protection (abri en bois autour des soufflets, clés pour fermer le buffet, etc.). Deux autres visites ultérieures avant le colloque organisé à la Sorbonne à propos de cet orgue en novembre 2000 devaient apporter d’autres preuves des dégradations qui continuaient d’avoir lieu. Enfin, la tempête de décembre 1999 est, elle aussi, passée par là, laissant en obole, sur les claviers non recouverts de leur couvercle à la suite de quelque négligence, des gravats tombés des voûtes. Notre dernière visite remonte au mercredi 3 décembre 2003. Nous n’avons constaté aucun changement majeur, mais l’orgue était bien sûr toujours dans le même état de saleté et d’abandon.